Lorsqu’on l’écoute cela paraît évident. Pourtant de notre point de vue « occidental », comprend-t’on réellement à quel point cette philosophie est encrée musicalement. On pourrait se demander sur quels aspects cela se manifeste.
Voici en 4 points pourquoi la musique cubaine est tant appréciée et qu’on la danse aux 4 coins du monde.
Historiquement à Cuba on ne parle pas de « Salsa ». Ce terme en tant que définition de genre musical est apparu aux Etats-Unis dans les années 1964-65, avec la création de la Fania Record de Johnny Pacheco. Je ne vais pas entrer maintenant dans les débats d’appropriation… j’ai longuement échangé à Cuba avec des musiciens et musicologues pour m’en faire ma propre opinion. Je la partagerais peut-être avec vous surement dans un autre article.
Pour en revenir à nos moutons, si on ne disait pas « salsa » historiquement comment appelait-on cela ? Si on reste dans la définition du genre musical on parlerait de Son, Chacha, Bolero, Guaguanco, … Cependant de manière plus générale on parle de « Musica popular bailable »*, traduction : musique dansante populaire. Et cela reprend déjà tout son sens. Bien que générique, cette terminologie traduit l’essence avec laquelle les musiciens d’époques et encore d’aujourd’hui composent pour notre grand plaisir.
Chronologiquement, l’une des premières musiques populaires dansantes encore dansée à Cuba est la Rumba (XIXème siècle). Ce genre musical fait intervenir 3 acteurs principaux : Le chanteur (+les chœurs), les percussionnistes et les danseurs.
De ces protagonistes naissent plusieurs échanges, dont le suivant : le chanteur raconte une histoire en se faisant accompagner des percussionnistes (clave, katas, congas, chékéré, cloche…). Une fois son récit terminé, il lance les chœurs et invite les danseurs à entrer. C’est à ce moment que les percussionnistes (congas) guident musicalement les danseurs jusqu’à la scène (un parc, une place, un théâtre…). Ils les suivent avec des phrases musicales improvisées, qui transcrivent leurs mouvements et pas. A cet instant la magie opère ! Les danseurs deviennent une partie intégrante du groupe et de la musique en soi.
Cette immersion des danseurs au cœur de la musique est quelque chose d’unique. On le voit dans tous les genres de la Rumba Yambu, Guaguanco mais il est surtout visible dans la Columbia. Cet élément est la raison pour laquelle j’affectionne personnellement ce genre musical.
Voici en exemple ma première vraie Columbia, faite dans le chaudron (en la caliente) au Guaguanco Festival de Barcelone. On peut y voir Orliandy Miñoso m’accompagner au « quinto » (la plus petite des congas), et être le premier témoin que je ne suis pas tombé dans la piscine hahahahaha
Bien que j’aie eu des meilleures Columbia (d’un point de vu danse), celle-ci a été magique pour moi car elle a été le déclencheur de ce que la musique cubaine représentait et surtout comment elle se ressentait et vivait ! Pour plus de vidéo de Columbia ⇒ ICI
De la magnifique Rumba (et de la contredanse…) est né le Son. Là encore il y a beaucoup à dire sur cette naissance et sur l’échange entre les deux, mais vraiment beaucoup et surtout si l’on évoque également le Changui apparût à la même époque. J’aime trop parler donc je vais me calmer.
Néanmoins l’une des choses primordiales à comprendre est que les musiciens et les chanteurs étaient en premier lieu des musiciens et chanteur de Rumba. Ils ont donc cette culture Rumbera dans le sang. Et la philosophie que vous avez pu lire plus haut est clairement présente dans leurs chansons.
Ricardo R. Oropesa raconte très précisément les débuts du Son et sa connexion avec la rumba dans son excellent livre « La Havana tiene su Son » (2012)
Cette relation peut être entendue clairement lorsque Arsenio Rodriguez va nous chanter un Guaguanco – Son, mais on va aussi pouvoir la comprendre lorsque l’on décrit structurellement la composition d’un son d’Ignacio Pineiro équivalant à :
- ‘diana’,
- chant,
- montuno,
- improvisation.
Dans ce style musical plusieurs variantes rythmiques sont alors représentées notamment le Songo, dont le patron a été créé par Jose Luis Quintana « Changuito ».
Le Songo est la marque de fabrique du groupe mythique Los Van Van dirigé par Juan Formell et de Pupy Pedroso. Il y a beaucoup de vidéos sur leur héritage (legado), parmi celles-là, je vous recommande très fortement de visionner le reportage émouvant Maestro – Los Van Van, réalisée par Nathanael Mergui et Patricia la Peruana en version complète ci-dessous!. Ce reportage fait par de vrais passionnés et très bons amis, a réussi à capter l’essence du groupe et de l’héritage qu’a laissé Juan Formell à ses membres dont son fils, à Cuba et le monde entier.
Pour en citer quelques-unes :
Un grand nombre de cœurs ont été réintroduits dans leurs compositions des 10 dernières années.
Au-dessus de Los Van Van il n’y a que le Soleil hahahah, et voici en musique ce que nous confie ce groupe de légende qui a influencé plus de 5 générations dans « Hecho pa’ Bailar » issu du tout dernier album Legado:
« Mon Songo est fait pour danser» !
La particularité de cette musique très Jazz, rapide et toute en syncope est qu’elle n’est pas facilement accessible à toutes les danseuses et tous les danseurs, contrairement aux compositions de Juan Formell assez lentes. Elle mélange musique traditionnelle cubaine et Rock US. Personnellement , j’adore danser sur du Irakéré. C’est inspirant mais demande beaucoup de cardio hahaha.
Comme le dit la musique où « Aqui el que baila gana » (1990). Juan Formell l’explique lui-même dans plusieurs documentaires qu’il compose une musique pour que les gens puissent danser.
« Je ne sais pas danser mais j’adore observer les gens le faire, et à partir de là je compose en fonction de ce qu’ils veulent danser, plus rapide, plus lentement, avec quelle cadence… » (CubaAbsolutly 2012)
La partie ou le danseur est invité à s’exprimer est le montuno, et Los Van Van comme d’autres groupes tel que Pupy Pedroso y su Son Son, NG la Banda, Elito Reve y su charangon et plus récemment Maykel Blanco y su salsa mayor, El Nino y la verdad… en lancent plusieurs dans une chanson. Cela est le signe que les groupes ne veulent pas que les danseurs s’arrêtent de danser. Juan Formell déclare en 2015 dans une interview sur TV nationale Cubavision :
« Lorsque l’on compose, si tu n’as pas le montuno tu n’as rien. C’est le plus difficile ! L’histoire peut être belle mais quand arrive le montuno, qu’est-ce que je dis ? Le montuno est ce que répètent les gens et nous (Los Van Van) les avons habitué à avoir d’un, deux voire trois montunos. Et c’est ça qui provoque le danseur. […] Pour nous autres le montuno est ce qui determine tout. »
En tant que passionné ces déclarations me touchent personnellement. Et encore une fois, on a de la chance d’être omniprésent dans la création de la musique sans le savoir. Un honneur qui pour moi doit être partagé en live lorsque l’on en a la possibilité. Aller voir vos artistes préférés sur scène.
Ils savent que ce n’est pas simple d’acheter les CD en Europe. On passe donc par des circuits alternatifs pour entendre les nouveautés Streaming, Youtube… et en allant en soirée avec le gros travail que font les DJ comme Jack El Calvo, Tom Nka, FrançoisTimbalero… Cependant le moyen de leur rendre directement est d’aller les voir en concert, alors si vous pouvez, foncez !
Après ces quelque 1700 mots, je viens de me rendre compte que cela pourrait être le sujet d’une thèse. (oups je me suis spoilé lol). En soi, j’adorerais en partager davantage avec vous. Mais, j’aurais déjà perdu la majeure partie d’entre vous si ce n’est pas encore le cas 😛